BONHEUR FUTUR

Voilà le temps venu, où bientôt notre brave peuple français — car il tient essentiellement à être français — ira déposer dans l’urne son bulletin de vote, sur lequel, gravement, il aura apposé le nom du candidat chéri de son cœur.

Tel le locataire qui renouvelle son bail pour trois, six ou neuf ans, notre sincère imbécile renouvellera pour cinq ans son esclavage et sa misère, il mangera un peu moins que précédemment — la misère s’accentuant de plus en plus, — ira de temps en temps écouter son bouffe-galette lui débiter quelques insanités, tels que: grève partielle, ou générale (pour plus tard, lorsqu’il ne tiendra plus l’assiette au beurre), impôt sur le revenu, augmentation des salaires, réformes sur réformes, embellissement de sa ville ou de son quartier — ce qui doit joliment lui remplir le ventre, à l’électeur, — en un mot, belles promesses que l’élu chéri du populo sait for bien qu’il ne pourra tenir, et dont ils se fiche comme de sa première culotte.

Le lion populaire, tout ragaillardi par ce belles paroles, encore le cerveau tout rempli des miracles que ce nouveau prophète vient de lui prédire, rentre chez lui, et raconte à sa compagne que bientôt la vie va changer… on mangera mieux prochainement,… le travail sera plus régulier…. la paie meilleure…. le loyer moins cher…. et, surtout, un omnibus futur desservira bientôt le quartier éloigné du centre, ce qui sera très commode, car populo n’a souvent pas les trois ronds nécessaire pour se payer ce luxe-là

Et pourtant, s’il voulait se donner la peine de réflechir ne fût-ce qu’une heure chaque jour; de voir ce qui se passe autour de lui; de chercher s’il n’est pas une solution, un moyen de sortir de cet enfer, si des hommes plus clairvoyants que lui, qui prêchent chaque jour des paroles de vérité naturelle, n’ont pas mis la main sur le problème après lequel l’humanité tout entière cherche depuis des siècles; sur cette vérité qui veut que l’homme, sur la terre, soit heureux par le bonheur de tous: que chaque être humain trouve la place qui lui est nécessaire, ses besoins assurés, et ses plaisirs satisfaits.

Cependant il existe; il suffit d’un peu de bonne volonté, de réflexion, et surtout de l’énergie puisée dans la volonté de vivre, pour que les vœux que chacun forme soient exaucés.

La terre, cette nourricière, n’a pas créé l’homme supérieur aux animaux par l’intelligence, pour que nous ne puissions trouver notre nourriture, notre avri et nos vêtements, sans être pour cela astreints à des labeurs continuels pour arriver à un résultat mille fois plus faible que celui que nous obtiendrions par la simple récolte des produits naturels.

L’homme est arrivé à un tel degré de civilisation, qu’il en est descendu au-dessous des animaux; nous voyons dans l’univers cette chose incompréhensible pour tout individu qui veut ouvrir les yeux, cette chose qui a nom Civilisation, que nos descendants auront de la peine à comprendre; nous voyons les masses différentes des animaux, vivre, se nourrir, se loger et s’abriter, cela naturellement, sans lois ni maîtres, parce que cela est simple, que cela doit être, et que la nature a pourvu amplement à leur existence.

L’homme, au contraire, l’être dont l’intelligence est la plus développée, ne trouve le moyen que de crever de faim, de misère et de maladies, consent à entretenir une infime petite partie d’individus parasites, qui, plus malins ou mieux servis par le hasard, les exploitent, les courbant sous le joug, les pressurant, les avachissant, et obtenant encore d’eux, en plus des jouissances naturelles que la terre produit, et dont ils ont l’abondance et la qualité, des lois, des armées, des polices et des magistrats; de sorte que nous voyons cette chose bizarre: le crève-de-faim arrêté, jugé, condamné pour s’être approprié une chose que la terre lui donnait gratuitement; s’appliquant sur lui-même les lois civilisatrices que ses maîtres lui ont demandées.

O logique et beauté de la Civilisation et du Progrès ! Et cela se passe en l’an 1898 de l’ère Républicaine et Crétine !

Peuple courbé, réveille-toi, instruis-toi; la terre produit naturellement et cela sans le concours de beaucoup d’efforts. Il suffit de vouloir, pour reprendre le sol que les exploiteurs se sont accaparé. Fais le calcul de ce qui revient à chacun; pense au bonheur de ton semblable et n’oublie pas que notre devise est: Tous pour un, un pour tous. Vivons en communauté des produits naturels de notre sol, nous y trouverons l’abondance, non le luxe factice qui nous entoure et qui ne peut être partagé également entre tous. Nous y puiserons la santé, le bonheur et l’intelligence qui sera d’autant plus vive qu’elle dépendra d’une vie simple et naturelle.

Et que faut-il faire pour cela, diras-tu ?

Presque rien. Nous grouper, former une association d’hommes convaincus, et au prochain jour de la bataille, renverser tout ce qui s’opposera à notre passage dans la société future, et cela sans pitié, sans grâce, avec d’autant plus de haine que nous aurons plus souffert, et que nous aurons hâte de voir la fin de nos maux.

Tous heureux en pleine nature, et sur la terre enfin libre !…

Henri Beaulieu