LA FRANCE A L’ETAT NATUREL

Il fait beau entendre parler de Civilisation, de bienfaits du Progrès, de découvertes de la Science, cependant que la misère grandit effroyablement, que l’assassinat et le suicide augmentent de fréquence; que l’anémie, la scrofule et le rachitisme s’étendent tous les jours davantage et que la laideur devient la règle presque générale.

D’aucuns déclarent que nous sommes en progrès sur nos devanciers.

Alors, quelle population de nabots, hideux, purulents, émaciés et difformes devaient être nos ancêtres et, si la misère était plus grande à leurs époques et les suicides plus nombreux, qui diable a pu nous procréer ?

Voilà à quelle interrogation on aboutit lorsque l’on s’en rapporte aux déclarations des économistes officiels de nos jours.

Fort heureusement, que, par l’observation personnelle, appuyée si l’on veut par celle des maîtres géologues, géographes et naturalistes, il est facile de constater l’admirable conformation de la Terre et la richesse de ses produits, ce qui réduit à néant la version biblique et gouvernementale de la misère fatale, version qui a si bien servi religions et Etats dans leurs desseins d’asservissement des masses.

Et, par le simple examen de la composition du sol de chaque pays et de sa production purement naturelle relativement au chiffre de sa population, on fait cette découverte inattendue: que, dans tous les pays civilisés, les conditions matérielles d’existence de la masse sont inférieures sur tous les points, à ce qu’elles seraient si ces mêmes pays étaient demeurés à l’état naturel.

Dans l’impossibilité de faire ici la description de tous les pays du globe, qui selon leur latitude et leur disposition topographique, offrent dans leur variété, des richesses équivalentes, force est de se borner à la seule description de notre région.

Elle sera en quelque sorte, à part la différence obligée dans l’ordre botanique et zoologique, celle des conditions économiques naturelles de tous les pays.

A l’état naturel, le sol de la France possédait une couche d’humus d’une richesse inconnue aux terres les mieux fumées de nos jours. Cette couche d’humus était l’œuvre des végétaux géants qui les premiers parurent sur le globe et des forêts qui leur succédèrent. C’est par la chute annuelle des feuilles depuis des milliers d’années que s’est formé le terreau ou terre végétale qui donne naissance et substance à la petite végétation.

Chaque année, en effet, les feuilles sèches tombent en pluie serrée, noircissent, se décomposent et ajoutent à l’humus déjà établi.

Les plantes indigènes y acquiéraient un développement que l’on ne rencontre plus actuellement. Les animaux qui broutaient ces plantes laissaient en retour sur place leurs déjections solides et liquides, ce qui contribuait à conserver l’économie du sol, et lorsqu’ils mourraient leurs détritus retournaient également à la terre.

Les plantes diverses qui y croissaient à l’état touffu entremêlaient leurs racines, formant ainsi un épais réseau, qui, aux jours de pluie, maintenait la terre détrempée, et l’empêchait de s’écouler avec les eaux.

C’est le désastre qui s’est précisément produit dès que la charrue éventra le réseau de racines protecteur en mettant à nu la terre, dont la matière friable délayée plusieurs fois par an par les ondées, la fonte des neiges, se liquéfie et, comme tous les terrains sont en pente s’écoule au ruisseau, à la rivière et au fleuve qui la jette à la mer.

La terre végétale primitive a disparu depuis longtemps déjà des pays où se pratique le labour.

Les forêts qui couvraient alors la presque totalité du territoire, s’élevaient sur les plus grandes hauteurs, jusqu’à 5 000 et 6 000 pieds d’altitude. Les pins noueux, les pins droits, sapins et mélèzes, qui sont les essences de ces régions présentaient une solide barrière aux neiges qui s’effondrent des sommets, s’opposant ainsi à la formation des avalanches.

Plus bas croissaient les chênes, les érables, les hêtres, les châtaigniers, les tilleuls, les frênes, les peupliers qui, recevant l’eau des pluies sur leur feuillage, ne la laissaient égoutter que lentement sur leurs ramures et leurs troncs pour aller imbiber la mousse et la terre et s’écouler par infiltration en formant les sources et cours d’eau. Ils préservaient ainsi du trop rapide afflux des eaux et de l’innondation. Les forêts étaient également pour les animaux et la petite végétation, un abri puissant contre les ardeurs du soleil et contre la bise, la grêle et l’ouragan.

D’autre part, on sait que les arbres absorbent pendant le jour la chaleur de l’atmosphère, pour la lui restituer au coucher du soleil, tempérant de la sorte, la fraîcheur nocturne; et, point capital, ils sont les producteurs de l’oxygène que nous respirons.

Ils sont donc indispensables au bon état de la terre, de l’homme et des animaux.

Sous le couvert des bois, la végétation ni les êtres n’avaient à redouter la sécheresse ou les grands froids, pas plus que les changements brusques de température. On voit déjà que dans ces conditions nombre de calamités devaient être inconnues.

La petite végétation, à l’abri des mouvements atmosphériques, croissait sur un sol d’humus séculaire si riche en azote et phosphate qu’aucun agriculteur de nos jours n’a pu en établir de semblable. A l’époque de la maturité, indépendamment des plantes qui avaient été consommées soit par les hommes, soit par les animaux, il s’en trouvait toujours, dans l’immense quantité, qui, épargnées, montaient en graines. De ces graines picorées par les oiseaux divers, il en tombait suffisamment sur le sol pour servir au réensemencement de l’année suivante; et, la graine de n’importe quelle plante enfouie dans les brindilles de végétation passe facilement l’hiver dans sa gaîne pour éclore au printemps.

Les animaux amplement nourris par la luxuriante production de l’été, trouvaient encore en hiver la récolte des arbres: glands, fênes, châtaignes, pommes de pins, sans parler de l’abondante quantité d’herbes fourragères séchées sur pieds (ce qui évite la fermentation résultant de l’emmagasinage en greniers et en granges), et ils savaient instinctivement les découvrir sous la neige préservatrice qui parfois les recouvrait.

Les fourrés, halliers et terriers, leur étaient des abris, autrement chauds et hygiéniques que les écuries, cabanes et étables, où se produit l’épizootie.

Et pour donner une idée de l’abondance des produits végétaux et animaux, aux époques où nombre de montagnes et collines n’avaient été stérilisées par le déboisement, où le territoire n’était occupé par les cités et l’immense réseau des voies ferrées et des routes nationales et autres, que l’on se représente les 53 000 000 d’hectares de la France1, couverts de forêts entrecoupées de clairières où croissaient les 800 sortes de plantes originaires: légumineuses, fourragères, tinctoriales et médicinales, représentant la végétation spontanée, c’est-à-dire se produisant sans culture sur notre sol.

Voici les principales plantes à feuilles, racines et graines, comestibles pour l’homme et les animaux; les arbres et arbustes, à baies et à fruits:

LÉGUMINEUSES ARBRES et ARBUSTES FOURRAGÈRES
Pois Chêne Brome des prés
Lentille Hêtre Orge
Artichaut Bouleau Avoine
Panais Erable Fétuque
Salsifis Frêne Millet
Truffe Tilleul Trèfle
Gesse Peuplier Luzerne
Chou Pin Sainfouin
Laitue Sapin Vesce
Cresson Mélèze Sauge
Pissenlit Orme Civette
Chicorée Acacia Menthe
Angélique Sorbier Chardon
Céleri Noyer Lin
Epinard Châtaignier Ortie
Poireau Noisetier Thym
Oignon Merisier Serpolet
Ail Groseillier Liseron
Cerfeuil Prunellier Scammonée
Estragon Cornouillier Betterave
Moutarde Etc. Mauve
Genièvre   Pervenche
Myrte    
Fraisier    
Etc.    

A ajouter le miel des abeilles, sucre naturel parfumé et délicieux que l’on trouve partout en abondance.

Les animaux comestibles; mammifères, volatiles et poissons divers représentant 50 sortes constituées pour vivre sur notre sol sans aucun soin d’élevage.

En voici la nomenclature par espèces:

MAMMIFÈRES VOLATILES POISSONS
Cheval Coq de bruyères Brochets
Vache Gélinotte Carpe
Mouton Outarde Truite
Sanglier Coq commun Perche
Ours Oie Gardon
Cerf Canard Barbillon
Daim Sarcelle Brème
Chevreuil Poule d’eau Tanche
Chamois Pigeon Anguille
Chèvre Tourterelle Goujon
Lièvre Perdrix Chabot
Lapin Caille Ablette
Ecureuil Grive Ecrevisse
Loir Merle Etc.
  Bécasse  
  Bécassine  
  Vanneau  
  Alouette  
  Geai  
  Pic vert  
  Bec-figues  
  Ortolan  
  Etc.  

On peut constater que la production alimentaire purement naturelle de la France est suffisamment variée, et en prenant même le chiffre actuel de sa population (38 000 000 d’habitants) divisé par celui de sa superficie (53 000 000 d’hectares), le calcul attribuerait à chaque individu: homme, femme, enfant, vieillard, la production de près de 15 000 mètres carrés (1 hectare et demi).

Actuellement la France ne compte plus que 48 000 000 d’hectares de terrains fertiles, ce qui établit néanmoins 12 000 à 12 500 mètres carrés par tête.

Or, 12 500 mètres carrés donneraient en végétaux divers,l’alimentation à une quantité d’animaux, bétail et gibier, représentant un rendement de 800 à 1 000 kg de viande par an, et cela sans préjudice des plantes et fruits nécessaires à l’homme2.

C’est là la part dévolue à chaque individu, et l’on conviendra qu’elle satisferait facilement trois hommes de constitution ordinaire.

Si l’on envisage que tout enfant ou vieillard dont les besoins sont moindres, bénéficie d’une part égale, le chiffre se porte à six pour un. Et en ajoutant la production des côtes maritimes à celle de la terre, on peut, sans crainte d’exagération, affirmer que les produits purement naturels de la France nourriraient 150 000 000 d’habitants de tout âge.

De toutes les hauteurs, montagnes et collines couvertes d’arbres, s’échappaient des milliers de sources aujourd’hui taries et qui alimentaient d’innombrables ruisseaux; des cavernes nombreuses s’y trouvaient creusées naturellement, offrant un abri à température constante, condition salutaire que l’on ne retrouve dans aucune habitation artificiellement édifiée.

Le granit, le marbre ou le grès, le sable et l’argile, se rencontrent de toutes parts avec le bois pour la bâtisse; les cuirs, les laines et le lin pour la confection du linge, des vêtements et des chaussures.



 

A l’état « civilisé », 90 000 individus, tous les ans, meurent littéralement de misère en France; 400 000 vagabondent, et 28 000 maigrissent toute leur vie.

Alors!…

Alors, c’est fini de geindre et de se lamenter, ô philantropes pleurards, et vous censeurs et moralistes amers, et vous âmes sensibles et accablées !

En voilà assez de vos sempiternelles doléances autant stériles que complices; assez de vos indignations incongrues; assez de vos tirades larmoyantes et de vos grands gestes désolés.

Vous voici en face d’une situation, reconnue par votre consacrée science: Il n’y a point de misère fatale, et la nature assure d’elle-même, l’abondance à chacun.

Vous l’ignoriez, c’est possible, eh bien ! donnez-vous la peine de vous renseigner; et vous bénéficierez au moins devant l’opinion future, de la circonstance atténuante du non-savoir.

Mais faites vite, car déjà vous n’avez à choisir qu’entre deux qualificatifs: ou celui d’ignares, ou celui de sauteurs.

Optez !

Ou vous voulez la civilisation, son artificiel et ses effets corrupteurs, ou vous voulez la paix !

Si c’est la civilisation: avec sa hiérarchie, ses intérêts, ses divisions, ses luttes, ses labeurs imposés et ses industries, il faut l’accepter avec les haines, les révoltes et les dépravations qu’elle détermine… et vous taire !

Si c’est la Paix, il faut que la terre et sa production redeviennent le patrimoine commun, donnant satisfaction aux instincts naturels, qui sont les simples et normales impulsions de nos besoins.

Mais que vous le vouliez ou non, votre décision est sans importance. Vous êtes le Passé, Passé d’erreurs pétries de mysticisme, de romantisme de sentimentalisme, et l’Avenir vous est fermé car il sera tout autre.

Il sera l’œuvre et le domaine de la génération actuelle, faite d’hommes neufs dont le positivisme éclairé ne s’alimente pas des promesses, toujours pour demain, d’une civilisation qui depuis bientôt quinze siècles nous opprime toujours davantage.

L’avenir, ce sera le réel, le tangible, le palpable; ce sera la Sensation physique et intellectuelle de ce que nous donnera abondamment: de beau, de sain, de pur, la terre féconde recouverte de sa parure naturelle.

L’avenir ce sera la Liberté pour tous, la joie, l’amour pour tous; ce sera avec la santé, la force et la beauté; avec l’abondance, la sécurité, la cordialité, la joie de vivre.

Et ce paradis n’est pas lointain, il est là, nous pouvons en ouvrir la porte sur l’heure, tout de suite. C’est la terre, c’est la nature, la nature que nous avions prétendu corriger, ô pygmées ! Nous avons traversé la phase de présomption, et la leçon a été dure, car c’est nous qui avons reçu la correction.

E. Gravelle.

  1. Les 874 000 hectares de la Corse compris, ou à retrancher. 

  2. Il ne s’agit nullement de la répartition du territoire entre les habitants. La statistique ci-dessus indique la somme de produits naturels que chaque individu aurait à sa disposition.