Notre alimentation sera-t-elle assurée ?

Je causais dernièrement avec un de mes amus, je lui faisais part de notre projet de colonie naturienne. Mon interlocuteur réfléchit un moment, puis me dit: « Il se peut qu’un nombre restreint d’individus puisse vivre sur un terrain convenablement choisi, mais je ne crois pas que toute la population de la France, par exemple, pourrait vivre à l’état naturel sur le sol de celui-ci. » Sa réponse ne me surprit point, sachant que le doute qu’il venait d’exprimer est généralement partagé.

Vous doutez, mon cher ami, que l’alimentation de tous les hommes vivant à l’état naturel puisse être assurée par la nature elle-même, mais vous étiez bien loin de supposer que l’on pourrait vous demander si vous pourrez toujours faire produire à la terre de quoi nourrir tous les hommes. Cette question vient d’être posée, il y a peu de temps, aux partisans du communisme par le group « les Anonymes de Londres » — dont je n’ai ici ni à défendre ni à critiquer les actes et les théories.

Dans un manifeste du groupe susnommé, il est dit ceci « Vu l’accroissement continuel de la population, croyez-vous pourvoir toujours faire produire à la terre de quoi nourrir tous les hommes ? » J’avoue que la question devrait être posée non seulement aux communistes, mais encore à tous les partisans d’une société basée sur la production artificielle.

Le journal « L’Agitazione », du 13 janvier 1898 — journal auquel collabore Malatesta — répond de la façon suivante aux « Anonymes de Londres »:

Ce péril existe-t-il ? Et s'il existe, les hommes ne peuvent-ils point le conjurer ? La science n'a pas encore dit une parole sûre et décisive sur la loi par laquelle la population se développe, et si la volonté humaine ne pourrait pas intervenir pour la modifier. La volonté ne sert-elle à rien ? La procréation n'est-elle pas un acte *volontaire* et d'autant plus volontaire, que plus l'homme est moralement élevé, et mieux il sait prévoir les conséquences de ses actes et dominer ses impulsions naturelles. Ne voyons-nous point que l'accroissement de la population s'arrête dans certains pays, comme par exemple une bonne partie de la France, où les gens croient utile de ne pas avoir beaucoup d'enfants.