CIVILISATION

Qu’est-ce que la Civilisation ?

Quand on consulte un dictionnaire ou que l’on scrute sans parti pris ce que renferme ce mot, on s’aperçoit bien vite qu’il n’est qu’un terme pour désigner un ensemble de faits accomplis se rattachant plus ou moins directement aux conditions de vie de certains groupes humains.

Les grands classiques nous apprennent en effet qu’il y a eu plusieurs Civilisations, et tout porte à croire, étant donné la lenteur de l’évolution humaine, qu’il y en aura encore d’autres; les civilisations n’étant que les stades plus ou moins longs des étapes de l’Humanité.

Les premières en date sont celles qui ont pu grouper un certain nombre d’êtres détachés de la tribu primitive et les diriger vers ce qui prédomine sur toutes: la domination.

Ce n’est que par force prise dans le nombre seulement, que se sont instaurés les Civilisations primitives, comme les suivantes du reste; il suffit de les suivre dans leur période de gestation pour s’en apercevoir.

Contrairement à l’idée admise, bien superficiellement il est vrai, il ne faut pas voir dans le mot: Civilisation, la synthèse harmonieuse d’une époque, la cristallisation la plus parfaite des meilleurs sentiments, un acheminement vers un meilleur avenir; il ne faut y voir que ce qu’il en est réellement, c’est-à-dire les manifestations de groupes épars avides de dominer ceux qu’ils avaient à craindre. Rien de naturel, rien de beau (et rien n’est beau que le naturel), n’étant au fond du creuset des Civilisations.

Civilisation ! Grand mot, mais qui n’est qu’un mot dépourvu de signification quant aux espérances du mieux être qu’il évoque, et que l’on veut à tout prix lui attribuer.

L’on s’efforce toujours, et pour cause, de faire confondre ce terme avec celui d’amélioration; il y a là une immense erreur qui en enfante bien d’autres, et contre lesquelles il faut s’empresser de réagir.

Dans l’idéal réalisable que nous ne tenons d’aucune théologie, d’aucune école, et ne rêvant que d’une humanité heureuse, efforçons-nous de montrer qu’il n’est qu’une chose vraie, grande et dans laquelle les plus assoiffés de vérité pourront trouver le bonheur, celui d’autrui et le leur, que de vivre en communion parfaite avec la Nature sans nous occuper des modifications et des habitudes qu’on créées les Civilisations.

N’attachons plus désormais de valeur aux mots, ne considérons que les faits; voyons-les tels qu’ils le sont, suivons l’Humanité dans sa marche et voyons si, de bonne foi, on peut affirmer que Civilisation signifie: bonheur.

Les fait de se vêtir de certaine façon, d’habiter des constructions faites sur certains plans, d’employer sa force intellectuelle ou physique à telle ou telle action, de vivre enfermé dans certaines formules, qu’importe pourvu qu’elles soient codifiées, d’accepter même ce qui heurte le plus violemment le moi dans ses manifestations naturelles, tout cela constitue une Civilisation. Que l’on y ajoute l’acceptation de toutes les turpitudes, des aberrations les plus révoltantes dans les rapports entre les humains y compris l’admission du troisième sexe si cher aux Civilisations raffinées. La guerre même, l’assassinat suivant certains modes constituent des actes de haute Civilisation; et je constate que toutes, qu’elles soient religieuses ou athées, les Civilisation n’apparaissent au travers des brumes de l’Histoire que dans un large sillon de sang; grecques ou romaines, asiatiques ou européennes, c’est dans le sang et sur des ruines qu’elles se sont édifiées.

On objectera urbi et orbi que sans la codification des habitudes et des mœurs, nous existerions dans un état chaotique, sauvage, tel que nous est représenté celui dans lequel vivent encore les quelques races toujours à l’état absoluement libre; quoique rien ne prouve qu’elles ne soient heureuses, ce qui est tout dans la vie. Mais il y a une objection à faire au sujet des races sauvages et elle est assurément fondée: c’est que ces races doivent être les derniers produits de l’évolution naturelle et qu’elles se rapprochent plutôt de l’anthropoïde notre ancêtre, que de nous qui avons cinquante siècles de vie sociale. De ce qu’était l’Humanité à l’aurore de sa vie, il n’y a pas à en déduire que si une quelconque Civilisation n’était survenue, elle serait demeurée indéfiniment stationnaire, fégée pour toujours dans son enveloppe enfantine. Les lois d’évolution auraient forcément suivi leur cours de concert avec la Nature, sans que des hécatombes en eussent marqué les étapes.

Les Arts, ces mirifiques productions du cerveau, ne pliant sous aucune contrainte, nous auraient certainement amenés à des conceptions de plus en plus grandes, dotant chaque époque d’un progrès nouveau.

Nous voyons par l’ingéniosité de nos ancêtres, par les arts disparus du fait des Civilisations, que l’être humain a été dévié de la vie généreuse et belle dès le jour où il a été policé et codifié.

Allez donc rechercher chez le civilisé actuel la puissance visuelle et la délicatesse de sensque posséédaient nos aïeux et qui étaient les indices de facultés leur facilitant la plus haute compréhension et la plus merveilleuse pratique de l’Art.

Codifier, policer, tel est le but des Civilisations. Mais en arguant de quel mobile ? La conquête d’une somme de bonheur fixée pour la masse ! Non, c’est le contraire, puisque c’est pour la masse l’obligation de sacrifier sa part de joies au profit de quelques-uns. Est-il réellement profitable de réglementer la Nature ? Lui commande-t-on à elle ? Est-il une civilisation assez puissante pour créer quoi que ce soit, faire germer la plante ou arrêter la pensée dans le cerveau ? La Civilisation peut-elle régler les tendances physiologiques d’un être ?

Nous pouvons répondre hardiment: non, à toutes ces interrogation.

Il n’y a à voir au fond de tout cela, je le redis à nouveau, que la domination plus ou moin stupide quand elle n’est pas féroce et lâche, ainsi que l’outrcuidante prétention de commander à la Nature. Et la Nature ne peut être commandée par personne, ni par des conquérants, ni par des légistes paas même par des savants qui ne font, ne l’oublions pas, qu’enregistrer ses manifestations; l’étudier et la comprendre, à ces deux termes doit se borner tout l’effort humain.

La Civilisation crie à des milliers d’humains: – Vos membres sont usés sous l’effort d’un travail incessant. Vous êtes vaincus par lâge, vous ne pouvez plus produire, mais vous avez encore un peu de force, une dernière lueur d’activité; il me la faut ou disparaissez. – « Il n’y a pas de place pour vous au banquet de la vie. » (Malthus.)

L’enfant bégaie encore, il n’a qu’) peine effleuré ce que peut être la vie, il a juste trempé ses lèvres rosées à la coupe des joies, la Civilisation lui crie qu’il a assez bu, assez vu; elle le prend et ne le rend qu’exténué, usé, effrayé de vivre.

La femme, cet être chanté, poétisé par toutes les Civilisations, pour écrire sans doute, n’est qu’un jouet, un objet de luxe ou de lucre; la maternité lui est interdite hor certains cas; il ne lui est plus permis de vivre sa vie sans subir la rigueur des lois, les qulles, sans égards pour sa faiblesse, la brisent sans pitié.

Non, ce n’est pas dans les civilisations que l’homme trouvera le bonheur, il n’est pas là, il est partout autour de lui; il n’a qu’à se dépouiller de ce long passé d’erreurs et ne comter qu’avec la Nature, seule maîtresse ici-bas de tout ce qui vie.

Maurice Dévigne