LE LIVRE D’OR

DE LA CIVILISATION

On a tout lieu de croire en effet que les premiers enfants de la Nature durent être l'objet de sa complaisance. Ce n'est pas dans les glaces du Nord ni sur les sables brûlant de la Lybie qu'elle leur choisit un berceau. Le sol qui les vit naître dut fournir abondamment et sans travail à leurs besoins, et sans doute ils ne furent pas destinés à l'arroser de leurs sueurs.
(Voyage aux Indes et en Chine, livre I, page 2.)

En faisant ici le tableau des calamités que les principes de Civilisation ont déchaînées sur l’humanité et les désastres qui en sont résultés, il me paraît intéressant de faire remarquer que ce sont les gouvernants et leurs savants salariés qui ont à dessein répandu la conviction que les Civilisations égyptiennes, hindoues, grecques et romaines ouvrirent pour l’homme une ère de félicité.

Leur plus précieux souci est de représenter l’existence de l’homme en la condition purement naturelle, comme misérable et tourmentée, et de le montrer enclin aux penchants les plus féroces. En le représentant transformé par le « Progrès » ils le montrent jouissant d’un bien-être général, mais ils s’abstiennent bien de signaler la misère et son cortège de vices et de maladies déterminées par le même « Progrès ».

Les premières traces de civilisation apparaissent à des époques qu’il est peu facile de préciser; les plus anciennes nous signalent une monarchie chinoise datant de 21 130 ans avant notre ère. On donne même le nom de son fondateur, Fou-Hi. Mais les ténèbres déjà si épaisses de l’Histoire des Civilisations qualifiées antiques, qui datent de 5 à 6 000 ans, deviennent impénétrables au delà; c’est pourquoi il est inutile d’en tenter l’étude.

Il sera plus profitable d’examiner les faits de civilisations plus rapprochées qui nous ont laissé des vestiges d’édifices attestant le degré de « Progrès » de l’humanité à ces époques; époques qui nous montrent également le degré de corruption atteint, ce qui établit bien qu’il faut faire une distinction précise entre nos prédécesseurs. Il serait peu exact de déclarer que les vices physiques et moraux se rencontraient chez nos devanciers aussi bien que nous, parce qu’on les constate chez les peuples vivaient à l’état civilisé, ce qui explique leur dépravation, tandis que les races qui existaient à l’état naturel à ces mêmes époques en étaient exemptes.

Les conditions établies par le système civilisé sont identiques pour toutes les civilisations, les intérêts étant les mêmes issus de la même base, l’Artificiel; et c’est ainsi qu’en tous lieux et à toutes époques, ils se sont créés et soutenus par l’arbitraire, la ruse, la fourberie, la cruauté, le crime, écrasant les spoliés sous le fardeau d’une existence de labeur et de misère que seule termine la mort par l’épidémie ou la guerre exterminatrice.

(A suivre.)

Honoré Bigot.