La récolte du miel en la montagne

En automne dernier, nous allions ma femme, mon enfant et moi, accompagnés d’un vieil ami (vrai philosophe, paysan, instruit qui préféra la nature au range qu’il avait presque atteint) nous approvisionner de miel, mais du miel pur, du miel des bois. Nous nous arrêtions après une demi-heure de marche au pied d’un rocher aux cimes houtes, sur la lisière d’un bois, là nous déposâmes sur le gazon près d’un petit ruisseau, nos menus bagages ainsi que le gros bébé, et pendant que notre moutard gazouillant, se réjouissait en arrachant des herbes fraîches qui se trouvaient à sa portée, nous montâmes tous trois au haut du rocher. Là, tandis que mon ami le philosophe me tenait vigoureusement par les pieds, je lançais mon corps dans le vide, pui me cramponnant au rocher, j’arrivai à l’antre ou se trouvait la ruche naturelle, après avoir pris les mesures pour ne pas être piqué, je sortais vivement la ruchée, les alvéoles pleines d’un miel odorant furent mises à égouter dans des récépients apportés pour la circonstance.

Il est succulent, me dit tout à coup le philosophe qui finissait de se lécher les doigts. Sont-ils sots les civilisés qui prétendent que les produits naturels sont sans saveur !… et c’est avec une telle conception de la nature, que cette civilisation insolente est venue jusque dans nos montagnes tout défricher; ils ont détruit jusqu’au rocher pour paver les routes. Sais-tu que des centaines de ruches existaient sur le prolongement du rox aux trois quarts détruit, nos pères venaient récolter le miel avec des bennes, les insensés de nos jours ont construit des ruches artificielles et y on incorporés les abeilles, les arrachant ainsi à leur élément naturel, en les forçant d’absorber les sucs de fleurs cultivées, tandis que nous remarquons autour du rocher des fruits, des aromates, etc., poussés naturellement et dont le suc des fleurs produit un miel si délicieux.

La besogne terminée nous rejoignîmes le gosse, nous fûmes, tous agréablement surpris après avoir constaté qu’en notre abscence, il avait mâché des herbes parmi lesquelles de la chicorée amère; des escargots aussi avaient été écrasés et sucés. N’est-il pas malheureux me dit le philosophe de constater que l’instinct d’un enfant est plus sûr que la prétendue raison des hommes civilisés, un homme du jour à qui le grand air serait recommandé, certainement s’assiérait là, avec indifférence, probablement avec une bouteille de sirop pectoral ou un biscuit purgatif, grassement payé ches le pharmacien, tandis qu’instinctivement l’enfant mâche de la chicorée, purgatif puissat, suce des escargots, pectoral des plus efficace; mais c’est la généreuse nature qui place ingénieusement sous la main de ses enfants tout ce qui donne la vie et la fécondité. Tout est faux dans l’homme civilisé, jusqu’à son appétit; le paysant de nos jours même se gave de produits mafaisants.

Pendant que le philosophe était à la recherche des mets qui devraient former le dîner, je disposai sur le petit ruisseau une roue, faite de morceaux de bois entrecroisés, je la plaçai au courant de l’eau ainsi que la rouen d’un moulin; le gosse, la mère s’en égayèrent longtemps, certes davantage que d’un jouet sorti du bazar de l’Hotel-de-Ville.

Le vieil ami arrivait rapportant diverses provisions dans un panier improvisé, fait de quelques points de saules, il déposa le tout sur le tapis de verdure, nappe naturelle, des cerises demi-sèches, des figues, fraîches, des prunes, des noisettes, des sorbes, etc., formaient le menu du dîner, le tout avait été puisé dans ce petit coin de terre délaissé autour du rocher, oublié par la vorace civilisation.

Tous nous étions pris d’une inexprimable joie, on se croyait au temps où l’on vous servait au milieu d’un champ ou d’une prairie un repas sans apprêts, où l’on se contentait d’un brouet clair, d’un pain cuit à la hâte, du miel des abeilles et de qulques fruits cueillis sur l’arbre le plus voisin. Il n’y a que les hommes civilisés qui se rassemblent autour d’un grand festin pour s’exciter mutuellement aux excès.

Le repas était terminé lorsque le philosophe me dit: Il semble que par une impulsion puissante de l’instinct l’homme est rarement satisfait de ce que la nature lui offre, il cherche à améliorer ses dons, à corriger par lemoyen de la greffe cette plaie mortelle, qui rend l’arbre aussi débile que les générations nouvelles d’hommes; l’arbre ayant cette cicatrice, n’a plus de consistance presque, la moindre intempérie lui donne une maladie nouvelle et après avoir été rayonnant pendant quelques années, iil est pris d’une sorte de consomption, et bientôt disparaît, tandis que les arbres poussés naturellement résistent à toutes les viscissitudes du temps, au paysan d’expérience avait raison de dire: toujours nous replantons et toujours nous replanterons, malgré tous les procédés de la science.

Après cette démonstration, mon ami s’était entièrement couché, et nous continuons à philosopher pendant que le petit enfant et sa mère, le grand enfant, faisaient à l’envie des culbutes sur la verdure.

Si le paysan a été écarté de la nature par les aaberrations de l’artificiel reprit le philosophe, il est prêt à y revenir. Je le compare à cette jeune bonne d’enfant qui n’aime plus à sortir en ville (ce qui faisait sa joie autrefois) uniquement parce que sa maîtresse lui met toujours un bébé trop lourd sur les bras; ainsi, si le paysan vise la ville, ce n’est pas toujours par amour pour elle, mais bien parce que contrairement à sa nature libre, on ne lui laisse respirer l’air des champs ou des bois, que sanglé d’une selle et muni d’un mors, avec un cavalier trop lourd (l’exploiteur). Assurez-donc du pain à un paysan et par là, ce repos qu’il aime tant, et il restera chez lui. Mais le paysan insensé donne à des civilisés le son de lui trouver la formule sur le bonheur; tandis qu’il a les pieds dans le plat, il cherche hors de l’assiette; il se tue au travail pour suffire à mille artifices: il vend son blé qui jadis lui donnait un pain noir, mais des plus hygiéniques, pour acheter au boulanger un pain fait de farines altérées et échauffantes; bénévolement il se défait de ses passions naturelles pour contenter des besoins factices; la faute certes n’est pas aux brebis douces et timides, mais aux civilisés pasteurs imposteurs, qui fascinent le peuple par un douloureux mirage.

Le crépuscule était tombé, nous nous retirions en nos cabanes, à la fin d’une délicieuse journée, passée loi des villes; nous nous serrions la mais, nous disant au revoir après avoir fraternellement partagé le tribut des abeilles.

Henri Raynaud.